Un an après le terrible attentat contre l’école Ozar Hatorah de Toulouse, un ami de Bryan Bijaoui (l’adolescent grièvement blessé), un membre de la famille d’Eva Sandler et un élève de l’école ont accepté de témoigner afin que cette journée du 19 mars ne tombe jamais dans l’oubli.
David Alloul est le cousin d’Eva Sandler, cette femme exceptionnelle dont le courage et la dignité -malgré l’épreuve- ont marqué chacun : lors de l’attentat contre Ozar Hatorah, son mari et deux de ses enfants sont lâchement assassinés. En tant que juif et membre de la famille, David se dit doublement touché par le drame du 19 mars, journée dont il se souviendra durant toute sa vie.
«Vers 8h30, c’est au lycée que j’apprends cette terrible nouvelle : un individu avait tiré sur un professeur et des enfants devant une école juive de Toulouse tandis que les premiers bilans faisaient état de plusieurs victimes.
Sur le moment, j’étais choqué qu’on puisse entendre une telle nouvelle en France alors que nous étions au XXIe siècle. Je n’avais pas davantage d’informations. Vers 10h30, c’est à la sortie du cours que j’apprends par ma mère qu’on n’avait pas seulement touché à mon peuple mais aussi à ma famille ».
Sur le moment, l’élève de terminale ne pense pas avoir saisi tout de suite la gravité de l’évènement. C’est alors un sentiment d’horreur mêlé à une profonde tristesse qui vient l’envahir. « A ce moment-là , quelque chose de surnaturel prend le dessus et on ressent au plus profond de soi les liens du sang qui existent. Il était alors trop tard et je ne pouvais plus rien faire en dehors de la lecture des tehilim pour les blessés ».
Durant la journée, des journalistes sont venus devant son lycée pour tenter de recueillir quelques témoignages. La sécurité fut directement renforcée. « On se sentait menacé parce que nous étudions dans une école juive. Très peu d’élèves étaient d’ailleurs conscients du lien de parenté que j’avais avec les victimes car je ne suis pas arrivé à en parler. Le lendemain, tout le monde était au courant, l’information avait circulé ».
Une fois rentré chez lui, David commence à véritablement prendre conscience de ce qui s’était passé. « Aujourd’hui, en France, des jeunes enfants et un professeur innocents ont bien été assassinés seulement parce qu’ils étaient juifs. Pour la première fois de la journée, j’éclatais en pleurs. Je n’avais même plus la force de me rendre à la manifestation ».
Durant la semaine du 19 mars, David avait l’impression que la vie s’était envolée. Tous les soirs, ses parents recevaient de nombreux appels en provenance d’amis et bien sûr de la famille dont une grande partie avait réservé un billet d’avion en dernière minute pour se rendre en Israël afin d’assister à l’enterrement. « J’ai rencontré beaucoup de difficultés avant d’accepter la réalité. Sans cesse, on voyait les mêmes images d’horreur, on entendait les mêmes discours. Puis j’ai vu les visages de plusieurs membres de ma famille dans les grands titres des informations et je me rappelle encore de ce jour tellement triste où j’ai pu regarder en direct à la télévision l’enterrement des victimes. » Ce n’était pas un cauchemar, tout cela était bien réel.
Puis il y a eu l’élimination du criminel, une journée dont David se souvient très bien. « Dès que quelque chose se passait, tout le monde me tenait au courant dans la classe. Quand j’ai appris cette nouvelle, j’étais soulagé même si je me suis tout de suite dit qu’il était trop tard et que ça ne ramènerait pas nos victimes ».
Alors qu’il est seulement âgé de 18 ans, David ne peut s’empêcher de penser à son avenir quand il voit l’explosion actuelle des violences antisémites. «Difficile d’oublier l’époque de la Seconde Guerre mondiale durant laquelle on s’en prenait à des enfants. Je ne pense pas pour autant que nous devrions arrêter de vivre et tout quitter, cela serait donner raison à nos ennemis. Je crois qu’il s’agit d’épreuves envoyées par D-ieu. Le peuple juif doit se réveiller et s’affirmer. Il faut éliminer les racines de cette violence et donc combattre avec la plus grande force -sans faire d’amalgame- les antisémites et les terroristes qui se font de plus en plus nombreux. N’oublions pas que D-ieu est le seul en mesure de pouvoir venger le sang des victimes : notre seul rôle est celui de faire valoir la bonté de la Torah et du peuple juif en glorifiant notre religion et en éclairant le monde de la Torah. Chacun doit se réveiller et revenir à la religion pour que Machiah arrive très vite. »
Sans vouloir être alarmiste, David pense que les juifs sont réellement menacés en France. « Il suffit d’aller à la synagogue avec la kippa sur la tête pour voir des regards haineux dirigés vers nous, j’en ai moi-même été témoin. Ce qui fait le plus peur, c’est le frontière très infime entre un regard, une parole et les actes : ceux qui veulent nous détruire n’ont aucune limite. »
Il constate que les pouvoirs publics font régulièrement part de leur intention de combattre l’antisémitisme mais il considère que les médias français ont une responsabilité dans le climat actuel de violences antisémites en faisant continuellement de la désinformation à l’égard d’Israël.
Malgré les mois qui passent, David ne cesse de penser aux victimes. L’attitude exemplaire et la foi de Samuel Sandler ainsi que de sa cousine Eva l’ont impressionné. « Si malgré le drame, elle arrive à mener un tel combat pour sa fille, sa famille, ses proches et son peuple, on a le devoir d’améliorer notre conduite afin de montrer au monde entier que le peuple juif est encore vivant.
A la base, je suis assez religieux : je mange casher, fais shabbat et mets les téfilines tous les jours mais depuis le drame, j’essaye d’approfondir davantage encore mon rapport à la religion en faisant quotidiennement minha et arvit (les prières de l’après-midi et du soir). Je suis convaincu que cette tragédie doit résonner comme un appel pour chaque juif. N’oublions jamais ces anges, que leurs âmes reposent en paix auprès d’Hachem ».
Ilan Choucroun est un ami de Bryan Bijaoui, l’adolescent grièvement blessé lors de l’attentat. Ils avaient fait connaissance au DEJJ, un mouvement de jeunesse de la communauté juive.
« J’ai fait plusieurs colonies de vacances avec lui, on avait donc beaucoup d’amis en commun et on partageait une même passion car il faisait du rap. Je connaissais d’ailleurs plusieurs élèves de son école. Certains étaient des amis toulousains que j’ai rencontré grâce aux mouvements de jeunesse tandis que d’autres étaient des internes originaires de Nice ».
Le matin du 19 mars 2012, Ilan prend connaissance du drame en regardant les infos alors qu’il se préparait pour se rendre en cours : « Une fois arrivé au lycée, j’étais démoralisé et je suivais l’évolution de la situation sur mon portable jusqu’à ce qu’une amie en commun avec Bryan me prévienne qu’il avait été touché. A ce moment-là , j’ai quitté la classe sans donner d’explications au prof ».
Par la suite, Ilan essaye d’avoir un maximum d’informations tout en organisant avec des amis une lecture des tehilim pour la guérison de Bryan : « On s’était tous donné rendez-vous dès qu’on a appris qu’il était dans le coma. Nous avons prié jusqu’à 2h du matin. On a aussi fait un tee-shirt destiné à Bryan qui comportait énormément de messages de soutien. On s’était dit qu’il finirait bien par se réveiller et qu’il lirait nos messages. Nous étions très touchés, ce n’était pas facile mais nous avions quand même gardé espoir ».
Ilan Choucroun est également à l’origine du son « Le courage n’a qu’un seul blaze » écrit en hommage à Bryan et qui avait alors fait le buzz sur les réseaux sociaux.
« On n’avait pas vraiment de nouvelles et nous étions dans le flou le plus total durant toute la journée du 19 mars ainsi que les jours suivants. C’est seulement quand on a su qu’il s’était réveillé après avoir ouvert les yeux pour la première fois que je me suis dit qu’il fallait écrire. Le rap étant sa passion, c’était sans doute la meilleure façon pour moi de lui rendre hommage ».
Entre temps, Ilan fait connaissance avec Laura, une amie de Bryan. Il lui fait part de ce projet d’écrire une chanson. « C’était une première pour nous : ni elle ni moi n’avions chanté auparavant. On a discuté et après avoir fait connaissance, nous avons décidé de concrétiser ce projet ensemble. Les mots sont venus très vite. J’avais tellement de choses à dire et à raconter, tellement d’émotions à transmettre… je ne voulais pas que les gens oublient. »
En un peu plus d’une heure, Ilan avait presque tout son texte entre les mains. « J’ai alors pris contact avec un producteur et un caméraman, je ne connaissais pas trop cet univers. Si j’ai décidé de faire un clip c’est pour qu’on puisse ressentir l’émotion en voyant nos visages. L’enregistrement s’est fait en deux heures ».
A partir du moment où le son a été mis en ligne, celui-ci a tout de suite fait le buzz. « Forcément, on s’attendait à ce que la vidéo tourne car toute la communauté avait besoin de rendre hommage à Bryan mais on imaginait pas atteindre autant de monde. Plus de 30 000 personnes ont visionné le clip sur Youtube. Il suffit de regarder les statistiques pour constater que la vidéo a été visionnée aux quatre coins du monde : de l’Amérique à la Chine en passant par le Maghreb ».
Conscient qu’un tel évènement pouvait arriver à tout moment, Ilan reconnait que cette journée du 19 mars fut un choc pour tous. Malgré tout cela, il ne croit pas à une prise de conscience générale et reste convaincu que l’antisémitisme ne cessera pas. Ilan tient également à préciser qu’il n’éprouve aucune haine et qu’il importe de ne pas se tromper de combat. « Je ne rêve que d’une chose, c’est de la paix. Le but est bien de sauver un maximum de vies et non pas de diviser et de raviver les violences. Il n y a rien de plus important que la vie. »
En juin 2012, quelques mois après la tragédie, Bryan se révélait de nouveau en public lors d’une soirée organisée à Nice « pour se souvenir » et durant laquelle une minute de silence fut respectée en mémoire des victimes. Un concert avec Bryan était également prévu ce soir-là .
Après avoir interprété ma chanson à ses côtés, il m’a dit « merci ». Ce mot m’a beaucoup touché, j’avais l’impression qu’il savait à quel point on s’était tous impliqué pour lui et qu’il avait conscience que cette journée du 19 mars restera à jamais gravée dans nos mémoires ».
Elève d’Ozar Hatorah Toulouse, Ariel faisait partie des internes de la classe de seconde en 2012. Durant le week-end précédant la matinée du 19 mars, il était à Paris chez sa famille.
Dès son réveil lundi matin et alors qu’il se préparait pour prendre l’avion en direction de Toulouse, il apprit par sa mère qu’un attentat venait d’avoir lieu dans une école juive de la ville.
« On a tout de suite allumé BFM TV. Peu de temps après, j’ai appelé mes amis qui étaient sur place pour essayer d’avoir plus d’informations. Ils m’ont prévenu quant aux victimes mais on ne m’avait pas dit que Bryan -qui était dans ma chambre depuis le début de l’année- s’était fait tiré dessus et qu’il se trouvait alors dans un état grave. »
Décidé à se rendre malgré tout sur place, Ariel ne pouvait penser à autre chose tout au long de son voyage : « je n’étais pas sur les lieux, je ne faisais qu’imaginer sans cesse la scène sur toute la route. Vers midi, dès que je suis arrivé à Toulouse, je me suis rendu à l’école. Il y avait énormément de journalistes et de policiers dans le quartier. Après être parvenu à m’approcher de l’établissement, je suis directement partie rejoindre mes amis ».
« Quand je suis passé devant la porte de l’internat, j’ai vu du sang par terre alors que des policiers analysaient les douilles ». C’est à ce moment précis qu’Ariel prend conscience qu’un crime s’était effectivement déroulé dans ce lieu qui représentait bien plus qu’une simple école à ses yeux : « Ozar Hatorah, c’était ma seconde famille. Pour les gens qui habitent Toulouse, cela reste surtout une école mais pour les internes, c’est aussi leur maison.
C’est dans cet endroit qu’on vivait au quotidien : on mangeait, priait, dormait et passait nos soirées dans ce lieu où l’on croisait chaque jour le rav Sandler et ses enfants étant donné qu’ils habitaient avec nous dans l’internat. On était aussi très proche de notre directeur, le rav Monsonego. On voyait d’ailleurs sa fille Myriam le shabbat. Certains la connaissaient bien, pour plusieurs internes filles, c’était comme leur petite sœur. »
Comme beaucoup d’autres élèves, Ariel n’arrivait pas à se rendre compte de la gravité de l’évènement qu’il était en train de vivre et de ses répercussions historiques : « on se disait que ça ne pouvait arriver qu’aux autres, pas à nous. On n’arrivait pas à comprendre ».
Durant toute la journée, son téléphone n’arrêtait pas de sonner. « J’ai reçu de nombreux appels et messages.Tout le monde voulait avoir des nouvelles alors que nous étions sous le choc et qu’il nous était difficile de parler. A force, on a du éteindre nos portables.
Et puis il faut parler du harcèlement et de l’attitude déplorable des journalistes. En fait, on était un peu comme une attraction pour eux. Par exemple, on refusait d’être filmé dans ces moments difficiles alors que nous étions en pleurs. Ils n’écoutaient pas nos remarques et insistaient pour nous poser des questions tout en braquant leurs caméras et appareils photos sur nous. Ils n’avaient aucun respect. »
Malgré cela, Ariel ne souhaitait pas abandonner l’internat et ressentait le besoin d’y rester dans ces moments difficiles, il passa ainsi trois jours sur place avant de rejoindre à nouveau sa famille.
Une fois à Paris, il n’oublie rien. Comme beaucoup de ses amis, il pense souvent à Bryan qui est toujours hospitalisé et dans un état incertain jusqu’à ce jour où ils reçoivent un sms leur annonçant qu’il s’en était sorti. Bryan avait gagné. « Malgré la gravité de l’évènement, on avait alors retrouvé le sourire ».
Un an après, cet ancien élève d’Ozar Hatorah reconnait une évolution sur le plan religieux : « Depuis l’attentat, j’ai décidé de m’améliorer. Désormais, je mange casher, je respecte shabbat et j’évite de faire des fautes. J’ai aussi pris sur moi de mettre les tefilines chaque matin ainsi que de faire les berahot. Je n’étais pas assez proche de la Torah. »
Concernant son rapport à Israël, il dit avoir toujours été très attaché à ce pays parce qu’il représente l’Histoire et la culture de son peuple. Il considère également que la communauté juive doit prendre des mesures pour se protéger en France.
Aujourd’hui, Ariel n’oublie pas ce qui s’est passé mais essaye de vivre avec. « Durant chaque journée, un moment va nous rappeler la tragédie du 19 mars. J’y repense très souvent. Il suffit que je vois des enfants jouer dans la cour de la synagogue pour penser à Myriam, Arié et Gabriel ».
Yonatane Laïk – JSSNews