
DIX ANS… le temps a passé, mais il n’a pu effacer les douloureux souvenirs des 11, 15 et 19 mars 2012.
La cérémonie de commémoration des attentats islamistes de Toulouse et de Montauban avait lieu à la Halle aux grains à Toulouse, ce dimanche 20 mars 2022 en présence du président de la République, Emmanuel Macron, et du président de l’État d’Israël, Isaac Herzog.
Les familles des victimes, Samuel et Éva Sandler, Jemma et Ahlem Legouad, Latifa Ibn Ziaten, ainsi que de nombreux responsables politiques, dont les anciens présidents de la République, Nicolas Sarkozy et François Hollande, l’ancien Premier ministre, Manuel Valls, des personnalités de la société civile et des associations étaient présents.Â
Dans la file d’attente qui mène à l’illustre bâtiment, des visages, des retrouvailles, des échanges chaleureux et pudiques à la fois. Chacun sait pourquoi il est présent aujourd’hui.
Nous sommes là aussi, au nom de l’association Shalam qui rassemble des chrétiens de toutes confessions soutenant Israël et le peuple juif, œuvrant également dans un désir de réconciliation et de paix entre les fils d’Abraham.
Comment ne pas l’être pour nos frères, nos sœurs et amis juifs ?
Nous leur avons fait cette promesse il y a 10 ans. Celle de toujours être là à leurs côtés. Celle de partager les larmes et les rires en tout temps et en toute circonstance.
Nous accédons à la salle qui se remplit peu à peu. On constate aussi les places vides. Où est la foule immense qui était présente 10 ans plus tôt ? Ont-ils fait leur Aliyah* (*retour) en Israël ? Ont-ils fui à contrecœur craignant pour leur vie et celles de leurs enfants ?
La cérémonie commence. Chaque intervenant s’exprime avec sincérité et dignité. Je me rappelle certains moments, certaines paroles, qui m’ont marqué. Le récit qui suit n’est pas exhaustif et ne peut se valoir d’être à la hauteur de chaque intervention. Voici quelques flashs de cette commémoration du 20 mars dernier :
Le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, prend la parole. Il explique comment l’islamisme a progressé ces dernières années à bas bruit. « La société française est en proie à une multitude de tensions sur fond de contestations croissantes de l’autorité républicaine et de l’univers individualiste ravageur qui délite le lien social. L’antisémitisme, comme défaite de l’humanité et amputation de l’intelligence, a ressurgi comme si le drame absolu qu’avait été la Shoah avait été effacé de notre mémoire collective. » L’indifférentisme démocratique atteint désormais des niveaux records et les extrêmes pèsent plus lourd que jamais dans la balance politique. L’heure est désormais à la mobilisation et à la prévention.
La lumière de la salle décline peu à peu et les sièges s’effacent pour laisser place à quelques fauteuils sur scène, sous un projecteur. Plusieurs intellectuels et auteurs sont présents pour évoquer, tour à tour, leurs réflexions et recherches autour de la défense des valeurs de la République, de la laïcité et l’unité face aux menaces de l’islamisme.
Leur constat est grave, désolant. Vingt ans plus tôt, l’essayiste Caroline Fourest commençait à alerter le monde politique concernant un retour inquiétant de l’antisémitisme. Ils étaient plusieurs déjà à tirer la sonnette d’alarme concernant la montée de l’antisémitisme camouflée derrière un islamogauchisme décomplexé et sans aucune conséquence pénale quant aux propos tenus par des politiciens sans limites ni vergogne. La peur de l’amalgame ou bien encore la crainte des représailles auraient également joué dans le déni de cette sombre réalité. L’antisémitisme ce pourrait être, non pas une maladie psychique, mais bien un formatage éducatif sur fond victimaire dont auraient bénéficié les meurtriers des attentas de cette dernière décennie. La réponse par la force et la répression ne sauraient donc être efficaces à elles seules sans le travail de prévention, d’éducation et d’accompagnement des familles issues de l’immigration et de ses injustices.
La politique antisioniste et antisémite a également joué un rôle crucial dans la montée de la haine des juifs ces dernières années.
Une violoncelliste s’avance, accompagnée d’une chanteuse en langue hébreu.
La cérémonie officielle commence dans l’intimité et la sensibilité de musiques juives. Je ne saurais dire les paroles que chantait l’artiste, mais c’est son cœur et son âme qu’elle a livrés sur cette scène, conjointement avec la musicienne, faisant résonner à elles deux, dans l’immense salle de la Halle aux grains, les profondeurs de l’âme juive dans toute sa beauté.
Samuel Sandler, le père de Jonathan, enseignant tué lors de l’attaque, s’avance face à l’auditoire, dans un courage empli de vulnérabilité. L’homme n’est plus que l’ombre de lui-même, de ses propres mots. Le traumatisme de la perte de son fils et de deux de ses petits enfants a brisé le cœur et l’homme qu’il est. Avec dignité, il évoque, non sans mal, ses derniers souvenirs pleins de tendresse. Il est là , présent, debout et, jusqu’au bout, déterminé à faire vivre le souvenir de sa famille et de son histoire. « J’écrirai et je parlerai, dit-il, pour faire de la malédiction un mensonge, un récit contre l’anéantissement dans la poussière, de l’encre pour conjurer le sang versé. » Des mots qu’il compare à une stèle pour graver à jamais leurs rires, leurs larmes et nos hésitations. « La guerre contre les juifs n’a jamais cessé. Elle a juste repris son souffle pendant soixante-dix ans avant de frapper à nouveau… »
Dans une deuxième partie, les fauteuils laissent place aux trois drapeaux de la France, d’Israël et de l’Union Européenne. Six anciens élèves et un professeur de l’école Ohr Torah (anciennement Otzar Hatorah) sont postés, trois par trois, de part et d’autre de la scène. Entre chaque intervention musicale, un témoin de l’horreur d’Otzar Hatorah prend la parole. L’un évoque ce que serait devenue chaque victime aujourd’hui si la vie ne lui avait pas été arrachée. Il parle de ce que chacune de victime a semé dans sa vie, notamment de son ancien professeur, Jonathan Sandler, dont les conseils passés portent encore leurs fruits. Une autre ancienne élève, tout juste majeure, qui avait l’âge de Myriam Monsonégo, rassemble et partage de précieux souvenirs collectés dans l’écrin de sa mémoire et de son cœur concernant sa jeune amie danseuse partie trop tôt. Un élève encore plus jeune nous livre avec sincérité un texte du chanteur et auteur Grand Corps Malade, sur ceux qui ne sont plus, Nos absents. Une jeune fille témoigne du souvenir vivant du jeune Arié, de son sourire et de ses yeux pétillants qui semblent encore l’accompagner, elle et ses camarades, désormais scolarisés en Seconde.
La salle est plongée dans l’émotion. De nos yeux baignés de larmes, nous voyions défiler les témoignages poignants des amis, leurs visions d’horreur, leur traumatisme, leur désespoir… Et cette jeune femme qui parle d’excès avec une telle éloquence. L’excès d’amour contre l’excès de haine. La résilience de tout un peuple au fil des millénaires se résumerait donc à cela ? Il y a quelque chose de grand, de noble, un poids certain dans tous ces témoignages.
Le président de l’État d’Israël, Isaac Herzog, prend la parole. Il avait répondu favorablement à l’invitation du président de la République, Emmanuel Macron.
Il évoque le souvenir de la cérémonie des jeunes victimes et du professeur Jonathan Sandler à Jérusalem. Il ne cesse de se demander avec effarement : « comment une telle horreur a-t-elle pu se dérouler sur le sol de la France d’aujourd’hui ? »
Il rappelle également les liens très proches qui lient la France à Israël. La République française ayant déjà prouvé son attachement à la tolérance et à la lutte contre l’extrémisme. « Malheureusement, dit-il, le massacre de Toulouse n’est pas un incident isolé de violence radicale commis par une minorité d’intégristes. » Le président Herzog évoque alors les assassinats de Ilan Halimi, Sarah Halimi, Mireille Knoll, les victimes de l’Hyper Kasher.
Il appelle ainsi à s’opposer « à la haine aveugle qui ne s’arrête jamais à un groupe, et détruit tout ».
Le président Herzog laisse place au président Macron. Celui-ci se souvient des victimes avec un sens aiguisé du détail représentant chacune d’entre elles dans sa singularité et son humanité. Les vaillants soldats tombés pour la France, les jeunes victimes et le professeur. Chacun est mentionné avec soin et un brin d’affection.
« Cette plaie béante et ce deuil lancinant est aussi celui de la France qui a été frappée en plein cœur. » Le président français évoque une nation qui ne cède pas, ne courbe pas la tête, mais résiste, recherchant sans trêve l’équilibre entre la défense de ses libertés et le renforcement de sa sécurité.
Le président affirme que l’antisémitisme et l’antisionisme sont les ennemis de la République, contre lesquels la France mène un combat existentiel.
Il souligne également l’honneur de la présence du président israélien et de son épouse. Il exprime fermement sa volonté pour la France de se tenir, comme elle l’a toujours fait, en faveur de la paix (…) en assurant qu’elle ne se fera pas au détriment de la sécurité de l’État d’Israël.
La deuxième partie de la cérémonie se termine sous une pluie d’applaudissements. Elle s’est déroulée avec pudeur et grandeur. Les larmes et la douleur étaient encore bien présentes, mais l’hommage était à leur juste mesure. Le droit des juifs à exister et vivre librement sur la terre française comme en Israël a été réaffirmé avec force. Le combat pour que perdurent les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ne fait que commencer. Les amis des juifs et de la République étaient présents. Mais où serons-nous après ces beaux discours ? Que ferons-nous face aux paroles, à la haine gratuite des uns et des autres ici ou là sur les réseaux sociaux ? Qui se lèvera pour affirmer sa fraternité au peuple juif ou le protéger de ses ennemis ? Qui parlera et instruira les plus jeunes ? Qui sortira les minorités perdues de leurs formatages victimaires et leur présentera un projet d’intégration et de réconciliation ? Qui aimera avec excès, plus fort que la haine, plus fort que la mort ?
Ce qui est sûr, c’est qu’Israël et le peuple juif vivront pour encore d’autres millénaires !
Naomi